JOSEPH BRUCHAC (Abenaki) – Pas de frontières – éditions VOIX

La chouette (The Owl)

La Chouette , c’était le nom qu’ils m’avaient donné

alors que nuits après nuits je souffrais d’insomnie

cet automne de mon vingtième anniversaire

et que j’arpentais les couloirs

d’un collège de la fraternité .

Ko-ko-has  Ko-ko-has   Ko-ko-has

Profond le nom ancré dans le sang aux odeurs d’épicéa,

ferme le contact de la balsamine sous les pieds,

douce l’envergure tandis que  le vent empenné

ramenait avec lui, rapportait l’ancien chant

qui est le nom de mon frère.

Ko-ko-has   Ko-ko-has  Ko-ko-has  Ko-ko-has

Tu attendais  dans les arbres en dehors du village tu alertais

et nous réveillais quand les Blancs, les « longs couteaux » arrivaient.

La lumière des étoiles reflétait leur tonnerre métallisé

déjà nous avions bu leur breuvage amer

et nous tombions, notre sang capturé dans leurs rêves.

Le loup Malsum , et Nolka , le cerf,

marchent derrière nos eaux, le battement de mon cœur s’arrête là

au mur de peau, il souffre les poings cramponnés

essayant de maintenir tendue cette corde d’arc,

il entend un nom requis par des nuits sans sommeil

mes pas en écho dans les allées de chênes

parmi de jeunes hommes qui ne parlaient pas

qui ne pouvaient chanter le langage des oiseaux.

Ko-ko-has  Ko-ko-has   Ko-ko-has

mes propres pas s’engloutissaient, s’avançaient

dans la mémoire du passé révolu.

Je nouais un cheveu aux racines d’un frêne.

Elles sauraient garder mon âme à cet endroit

aussi sûrement qu’elle ne pouvaient entendre

ce qui appelait du monde des esprits, ce dont d’autres s ‘effrayaient :

Ko-ko-has, le protecteur de nos rêves.

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A BEAR SONG – CHANT DE L’OURS

POUR N.Scott Momaday *

J’ai appris qu’il a des choses

que savent nos Anciens,

ceux qui n’oublient pas de garder

les yeux ouverts sur une ancienne lumière,

ils l’ont vue dans l’obscurité du sommeil hivernal. .

Parmi elles une histoire entendue

dire d’une voix sonore,

pleine de grondements

comme la gorge d’une chute d’eau

quand elle commence à conduire

le souffle d’un nouveau printemps.

Cela parle d’un homme qui dansait.

Quelques-uns remarquèrent d’abord ses pas.

Ils semblaient insolites, différents,

pas en rythme avec celui

qui faisait évoluer  à travers la place

des rangs colorés d’hommes et de femmes.

Mais quand le tambour cessa de battre,

cet homme n’était déjà plus là.

Là où ses pieds avaient rencontré le sol

on pouvait encore voir

les profondes empreintes d’un ours.

*Norman Scott Momaday , poète et romancier Kiowa , a obtenu le prix Pulitzer en 1969 pour son roman HOUSEMADE OF DAWN, « la maison de l’aube , paru aux éditions du Rocher .

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AT TEECHEELAY CORRECTIONNAL CENTER FOR WOMEN

AU CENTRE DE DÉTENTION POUR FEMMES DE TEEHEELAY

Elle dit
ici
on m’appelle Lauren.
Mais mon vrai nom, mon nom Winebago,
est Hos-kas-kah,
“entre dans l’obscurité”.

Ses paroles furent les premières
provenant d’un cercle de femmes
qu’un après-midi
transportait loin des vieux noms
symboles du jugement et de la méchanceté
loin de tous les noms
sans merci, sans grâce.

Les vrais seuls noms prononcés
furent soufflés par les grands-mères
dans le but de les bénir.

Je marchais
comme j’avais marché
un millier de fois
passant les portes de prisons
je ressentais le battement
de ces noms réclamant
leurs cœurs
à la façon des ailes palpitantes
d’un millier d’oies
qui prendraient leur envol
alors que le jour déclinant devenait
obscurité apaisante.

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OLIGAWIDORS BIEN

Il a été dit

dans le monde de l’ouest

que le sommeil était le petit frère de la mort.

Mais nos anciens

savaient qu’il n’en était rien.

Le sommeil est plus vieux que la mort

et mourir est seulement une sorte de sieste, un passage

entre les rêves.

Parce qu’ils savaient cela

ils ont signifié la voie

en façonnant des reliefs sur le sol

comme le vieux Tumulus du Serpent*

qui nous rappelle que

le voyage de notre souffle

décrit toujours des cercles pour revenir sur terre .

Quand chaque nouvel enfant s’éveille

il se souvient un temps

de la voie venteuse

qu’il a emprunté jusqu’à ce que

la crainte et l’épaisseur du discours

revienne se placer entre lui

et la vérité de sa vision.

Nous ne devrions jamais oublier

que ce n’est pas la mort

qui berce nos nuits

et dont le souffle dit

oligawi*, va dormir tranquille.

Ferme tes yeux et vire

retourne à l’étreinte de la terre.

Ce que tu vois les yeux fermés

est plus réel que sur le mode éveillé

et bien que cela puisse te tuer

jamais la mort

n’a tué le sommeil,

il n’y a pas d’obscurité

plus forte

que les rêves,

oligwasi*

*     allusion à l’ancienne civilisation Amérindiennes des « mound-builders »

*     dors bien ( langage Abenaki )

*     litteralement rêve bien : fais de beaux rêves