KIM BLAESER(membre de la nation Anishinaabe)-Résister en dansant-éditions les Lisières

Ikwe-niimi: Résister en dansant

365 clochettes en rangs sur ma robe

tournées par les mains d’une qui a déserté

pour fuir l’enseignement obligatoire délivré à Pipestone  

430 kilomètres à regarder en arrière pour savoir si elle était poursuivie

se cachant pour éviter les punitions promises le jour

et sous la lune migrant comme ses cousins maang*.

365 rubans tiennent les clochettes sur ma robe

bandes multicolores attachées et enfilées

cousues par les femmes rieuses de mon enfance,

femmes qui gagnaient 2 dollars et 25 cents

à coudre les tabliers décorées d’oies, des maniques,

dont les doigts enflés tapotaient un rythme à suivre en travaillant.

365 prières en cadence et tapes l’une sur l’autre

zaangwewe-magooday, robe-médecine ancienne

héritage argenté en forme de cône imitant la voix purificatrice de la pluie 

145ème pow-wow de la nation de White Earth**

le poids de l’histoire Anishinaabeg sur mon dos

une robe faite lumière grâce à la résistance : cette guérison est un art.

*maang: mot du langage Ojibwé (Anishinaabeg ou chippewa) pour dire plongeon. (N.d.T.)

**White Earth est une réserve Anishinaabe située dans le centre-nord du Minnesota aux Etats-Unis. (N.d.T.)

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Rêves de corps aquatiques

Rat musqué — Wazhashk,

petit nageur à moustaches,

toi, flèche fluide traversant les cours d’eau

avec la simple détermination

de qui a plongé

violet profond dans une quête mythique.

Dévalorisé ou méprisé

comme rat d’eau sur terre;

héros dans les contes animaliers

de notre peuple Anishinaabeg, histoires de la création

dont les conteurs ouvrent lentement,

magiquement comme dans un rêve,

ton petit poing fermé

afin que toutes les tribus de l’eau puissent croire.

Vois les petits grains de sable —

Ah, seulement ces quelques uns

mais ils deviennent notre île de la tortue

cette bonne terre bien rêvée

sur laquelle nous nous trouvons en ce moment

au bord de tant de corps aquatiques

et regarde Wazhashk, notre frère,

glisser au travers des bassins des courants et des lacs

cette terre marécageuse creusée par

la mémoire

les histoires

l’espoir

le plongeon

des élégants nageurs à moustaches

qui marquent un passage sombre.

Et parfois dans nos rêves d’eau

nous pitoyables habitants de la terre ferme

en désirant

en nous souvenant et chantant

nous amenons les esprits

à suivre :

bakobii.*

*Descend dans l’eau.

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Embarcation    

Comme l’alchimie du soleil et de l’eau

ton mouvement : ce rapide flash

vif argent, ton corps un sombre éclat,

élancé, une ondulation unique passant

au-dessus du rocher sur le bord du champ de vision,

ou bien le déversement sans fin

d’un corps noir, un ruban de grâce

liquide, euphorie, loutre

de rivière.

L’engouement me pousse

à poursuivre la descente de ruisseaux étroits.

Balayer du regard, attendre, chaque coup d’oeil un elixir,

un éveil, comme le mouvement lui-même.

Et dans l’élan des bras

qui pagayent en kayaks pagayent en canoés pagayent

en instants, chaque embacation glisse.

Maintenant tu tournes, hardie et noire, tête puis menton se lèvent —étincelle de ton regard, du mien.

De nouveau tu plonges, l’extrémité de ta queue

un unique guillemet noir

ouvrant une conversation

à laquelle je n’ai pas trouvé de fin.

Pendant des années j’ai suivi des indices aquatiques

des bulles que tu as abandonnées en te réveillant

des rayures légères sur des surfaces vitreuses

toujours vigilante au signal, au petit gazouillis

qui m’attire hors des limites de la carte.

Le jeu n’est que poursuite taquinerie et glissade.

Mais bientôt des corps noirs lentement se dissimulent

dans des abris, y murmurent et grognent.

Ce langage rivière enchante, hypnotise, me berce

alors que le soleil et moi appuyés, nous aussi, prenons le temps de nous reposer. Jusqu’au jour où j’attacherai le canoé, me draperai

telle une tortue sur un rocher pour regarder et j’attendrai

tandis que le temps clapotera clapotera aux bords finis

de tous les rochers, tanières, loutres — et moi-même. 

Puis l’alchimie du soleil et de l’eau me

nomme sombre éclat, dessus ou dessous

la surface, rêves de corps aquatiques

aux mouvements illimités, un ruban

argenté chatoyant, ciel bleu-orageux, ligne

infinitésimale qui dilue, amphibie entre les royaumes,

parmi des prières murmurées : adoramus et Old Heaven,

gardez vos trompettes, envoyez-moi la grâce riviérée

versez moi renouvelée dans ce noir-esprit aquatique-nageur.