MICHAEL WASSON (Nez-percé) – Autoportrait aux siècles souillés -éditions les Lisières
Remarques d’un gars (indigène) à l’Amérique
pardonne-moi d’avoir quelque chose à dire
Tout est dans le langage que nous utilisons.–Layli Long Soldier [ceci veut dire le monde pour moi]
13h 34, il pleut encore
D’abord, je suis plutôt timide [donc je fais de mon mieux]
j’inscris sur la page blanche & j’efface le foncé que j’y ai mis
laissez-moi recommencer
Je regarde Ies miens se faire arrêter la nuit
ce que j’ai vu : leurs poignets luisants sous la lune
’anoqónma, dit mon oncle/qui veut dire, indigènes
Question: y a-t-il assez de métaphores pour faire couler le monde? Ou pour qu’il continue de tourner?
Parfois, rester sous la pluie me faire me sentir plus vivant—pourquoi ça?
Mon cousin a deux longues tresses qui descendent jusqu’au bas de son corps—et de cela, je suis si heureux
tu vois ta bouche—nos lèvres ne veulent rien d’autre que d’être ce rouge
Autrefois le monde entire était eau/ne t’en souviens-tu pas?
21h 07, je veux que ma mère / sache que je l’aime
Les os parlent/ Les os parlent
Arrête-toi & écoute le silence entre nous
Qu’est-ce que cela pourrait signifier?
Certains d’entre nous sont plus effrayés que d’autres
Note pour moi-même: chaque mot que j’ai déjà dit l’était et est dentelé d’eau, de l’eau brûlante
Question: avez-vous scruté tes empreintes digitales sur la fenêtre?
Pensé à l’instant : la seule preuve de ton humanité / parfois/ que tu aies été là
Comment pourrions-nous prouver que nous sommes vraiment vivants? /trop profond? Trop tôt? Peut-être.
laisse-les dire : les morts t’ont codé comme ça: cachés dans tes empreintes digitales
Touche-moi /je promets que je ne suis qu’un corps avec un cœur battant
Avec la perte conséquente / de lumière/ tu te vois/ dans le verre
Note pour moi-même: chaque fantôme dans tes os te fait bouger
C’est la vie/ parfois
Mon étudiant/ qui écrivait ses notes au feutre sur ses bras/ est mort de soif dans un champ
Un commentaire sur internet dûment noté: nous gagnons la guerre alors tais-toi bon sang
tu fus fait chair à partir de beaucoup
(-continus-) coup de fusils
Un autre commentaire internet: laisse les chiens les mangerMAUDITS BOUFFEURS DE CHIENS
As-tu regardé dans la glace & dit : tu es un cimetière
Oui je l’ai fait
Je fausse le miroir rien qu’en me tenant là / rien qu’en pensant à toi Amérique
Touche-toi dans le noir (n’importe quelle façon nécessaire) parce que tu es
(-continu-) un Plaisir que d’être en vie
Question: avez-vous entendu des voix en observant une flaque d’eau?
Il a plu hier également
Imagine: la pluie bondissant du champ/ comme les criquets
J’ai poussé mon cri yáaca’ depuis un océan au loin / depuis le rire
Car les souvenirs de joie circulant entre nous conservent notre sang en mouvement
Je voulais savoir que le corps/ était tout ce que nous avions
Essayer de se souvenir : ce que ma peau ressentait après que quelqu’un ait dit : putains d’Indiens
A propos : te voilà/ mon dieu/ Lecteur Gentil / parce que je prie & que tu écoutes
Merci/ qe’ciyéw’yew’
Le mot le plus seul est celui à l’intérieur de toi que tu n’as pas encore prononcé
Apprendre à faire l’amour dans un autre langage / j’ai pleuré cette nuit-là
Tout ce qui restait—des corps se souvenant—souffle, maintenant enfui, mouillant encore la bouche
Non, le corps est fait pour supporter les morts
Le robinet d’eau de mon grand-père est le meilleur du monde / je le jure
c’est bon pour le sang, dit mon oncle [qui voit mieux de son seul œil que moi avec les deux miens]
J’ai été créé parce qu’il faisait sombre—& quelqu’un manquait
Déshabille-toi & et regarde-toi / souris / c’est toi
Mets ta main sur ta poitrine & dit quelque chose comme : une maison avec tout le monde dedans
Je suis en partie monstre, en partie animal, partie eau, partie histoire, partie chant, partie farceur, toujours le sang rencontre l’eau & asperge la terre
Tu respires/ mon cœur ne peut pas faire autrement / que réagir
…rassembler les sens, mais je dis , rassemble tes mains, cher bienaimé
Dans le hayon de la minuscule Honda rouge de ma mère, la radio diffuse: chers bienaimés, nous sommes rassemblés ici aujourd’hui
(-continu-) traverser cette chose appelée vie. & depuis j’ai toujours aimé Prince.
You are passing through your life, like [a. a season, b. a child playing in limbo, c. a clock, d. all of the above]
Dans le champ, sur le lieu du massacre, j’ai pleuré et pleuré pendant que mes camarades de classe me regardaient
Question: rêves-tu de moi?
Quand la pluie aura cessé de tomber, je demanderai : te souviendras-tu de moi comme ça?
Première gelée de l’année signifie: oui, même le souffle touche la terre & reste
Question: comment nettoyer l’air si l’air est tout ce que vous avez perdu ?
je t’ai donné l’Amérique ce que ça voulait mais j’ai gardé quelque chose
Sur le compte Facebook de ma mère, j’écris : être dans cette peau c’estêtre en résistance
Sur le compte Facebook de mon ami, j’écris : existence indigène = oxymore
One headphone shorts &—suddenly—the same song is something I’ve never heard before
Les moineaux se sont abattus sur le champ de riz / ne laissant derrière eux qu’un arbre dépouillé
Je vous aime tous/ je le jure
Ou pour le dire autrement: ’óykaloo, ’eetx heetiwíse
S’il te plait regarde-moi dans les yeux—c’est tout ce que je demande