Tirage(s) de tête(s)
« La mort est un mur aveugle où se cognent finalement toutes les têtes questionnantes.» Moby Dick, Herman Melville.
I
Quatre murs jamais pu les faire entrer dans ma tête à quoi ça tient
A facettes dans ma tête les miroirs trop polis qui n’osent pas mais déformée sans cogner oui !
A forceps à tiroirs tous les jolis circuits du cortical au subcortex on vous les tranche par résonance
magnétiques tous ces regards qui voudraient trouver un angle et ma tête leur refuse une incidence … si je force les choses par accidence à se loger sous mon crâne j’ai un véritable problème de conscience
elle cloue
II
Au centre voudrait dire que le cadre n’est pas à la bonne échelle dans ma tête mais l’urgence est bien quand même au silence
et ne confondez pas avec un quant à soi
Si vous êtes dans les parages demandez-vous quelle presse pour le citron et si l’on ne trouve pas de coins comment l’absence serait… Excusez mais l’espace est réservé au souffle et au feu dans le sang au ciel de ma tête dans mon corps
Y’a du plexus dans l’air ont dit les poumons en passant outre.
L’intime est un tissu ultra souple comme on dirait avoir de la marge la laisse a des envies de lâcher prise
et ça rebondit et ça se lisse et ça se roule et se déplie en sensations c’est des milliards de connexions et 2 réseaux complets qui travaillent en parallèle et en interactions électriques chimiques et probablement quantiques…
Reptilienne sous limbique…
III
Où pensiez-vous la trouver ma tête ?
Dans quelle catégorie ?
VII
infinitif échappé du bocal les relents de formol dans la perte des eaux
naissance assiégée par l’appartenance
ma tête conciliabule à l’écart pourtant ça s’inscrit sur un registre mineur et lampe frontale dans l’éther du regard cette autre tête épousée parce qu’inventé
un corps pourtant déporté
terre ou sable
la politique de l’autruche vous croyez ?
IX
Contre les vampires insatiables une couronne
un bonnet un chapeau
une capuche : c’est top frivolité le couvre-chef
mais
ne dit-on pas que la dignité se mesure au port de tête….
A tue—– comme martel dans l’air sous mon crâne sa chambre d’échos sent le brûlé
pas de quoi s’étonner
de toutes ses forces la linotte bien faite veut du vide
n’a pu fermer la tête de la nuit
XII
Mise à prix
chassée la grande ennemie publique
numéro un :
profil peau-rouge
numéro deux :
face bronzée
d’ail à tresses ma tête
et ses vertus contre les âmes vendues aux diables
XIII
Plus on se la creuse
et plus elle prend l’air
c’en est à perdre
raison
tombe
quand on croit qu’elle
érige
XVI
Lancine et
s’effrite
passage au crible de ma tête jusqu’à mélodiedans mes nids de mémoire
narguerait-elle
le temps ?
Headquake
C’est un tremblement de tête / des failles dans le cerveau / des rifts au fond de la matière grise / et des flots électriques qui s’emparent d’abord des yeux puis la conscience s’éteint et les secousses s’intensifient.
C’est dû au tempérament / toujours une forme de débordement suivi du remord / un piqueté d’échardes comme pour faire hérisson / genre ourson mal léché / afin d’égratigner les lettres / un peeling salutaire suivi d’une pluie de pellicules / les peaux mortes sont aux mots ce qu’écailles sont aux vipères /ça fait fourcher la langue. |
It’s due to a temperament / always a kind of overflowing movement followed by remorse /dotted with splinters so as to imitate the hedgehog / something like beneath a gruff exterior / so as to scratch letters / a healthy peeling makes skin flakes rain / dandruff are to words what scales are to snakes / causing the tongue to split
https://www.terreaciel.net/Lectures-de-Clara-Regy-1151#.XSHUXY9S_IU
Lectures de Clara Regy juillet 2019
Tirage(s) de Tête(s) , Béatrice Machet, Cahier du Loup bleu, Les Lieux-Dits éditions. Le loup de Dominique Coenen est « aussi » très beau en quatrième de couverture.
Première partie -ENTRE-
Une écriture « Reptilienne sous limbique… » pourquoi ne pas emprunter au texte lui-même ce qui pourrait le définir ? Pourquoi pas ? « il n’y a plus de question à la réponse que vous exigez. »
Le titre d’abord, est un joli jeu de mots, un petit clin d’œil qui donne le ton à l’ensemble du recueil, un pluriel inattendu ? Non pas vraiment, il y en a des choses dans cette tête-là, des mots, des maux, des images, des mouvements (de la danse, de la transe), « une trajectoire oblique », « un vide en spirale stellaire », des références moquées, bafouées ? Du rire dans le gosier, il y a ! Mais pas seulement !
La tête semble prendre la gouvernance de tout le corps, elle est un monde, elle a ses propres habitants, et soudain « Des envies de dépeupler dans ma tête. » l’auteure semble reprendre la main, ou plutôt la tête, mais qui portera « atlas » ? Délesté de sa majuscule est-il moins lourd, moins fort et la terre est-elle moins lourde, moins folle aussi ?
La terre, le monde deviendraient-ils moins violents :
XII
Mise à prix chassée la grande ennemie publique
numéro un : profil peau-rouge
numéro deux : face
bronzée
d’ail à tresses ma tête et ses vertus contre les âmes
vendues aux diables
Est-il bien nécessaire d’élucider ce passage ?
Cette première partie se terminera ainsi :
XVI
Lancine et s’effrite passage au crible de ma tête
jusqu’à mélodie dans mes nids de mémoire
narguerait-elle le temps ?
Dans cette « mythologie » en seize tableaux : une soif qui ne s’étanche pas, mais aussi peut-être l’esquisse d’un apaisement ou du moins son désir…
Deuxième partie -HEADQUAKE-
(après la visite à l’atelier de la sculptrice Dominique Assoignon-Coenen)
Si le titre est pour le moins explosif, la mise en forme du texte se montre plus tenue, rappelle-t-elle les blocs que la sculptrice modèle ? La langue plus reposée nous conduit cependant vers le « rabot » et « la lime » outils qui suppriment le superflu de la matière – et de l’humain aussi- ?
Et puis :
Silence/beaucoup/
sans aucun scrupule/comme un post-it collé
dans la tête/n’oublie pas le deuil dure quatre
ans/ et puis tu remontes à la surface parce que
des bulles. »
Les « bulles » éclabousseront-elles la fin de ce recueil amusé et désabusé, terriblement vivant ?
Entre les « Quatre murs » et les « quatre ans » du deuil allez découvrir « l’effervescence comme s’il en pleuvait » un texte vif, cadencé, nerveux comme une danse…